On s’accorde à considérer Mallarmé comme l’initiateur, en poésie, d’un renversement du processus producteur du sens identique à celui prôné par Klee en peinture. Selon lui, le sens d’un poème (« s’il en a un », prend-il la peine toutefois de préciser) est évoqué par « un mirage interne des mots » (lettre à Cazalis sur le sonnet dit en ix). Nul doute que, aux yeux de Cheval-à-Vélo, l’image d’une chaîne de montagnes ne se donne en son tableau également dans un mirage interne aux associations déclenchées par les minuscules pyramides de pigments colorés, des pyramides encore proches de l’ébauche, sur lesquelles s’en vient néanmoins buter notre facteur.
Neuf pyramides de pigments plus ou moins épars édifient ce Fragment des collections de Montagnes du Facteur Cheval. Si elles produisent l’image d’une suite de montagnes, elles sont elles-mêmes produites par le truchement d’un fer à repasser. D’abord dessinées avec un pastel gras sur la semelle d’un fer bien chaud, ces pyramides sont ensuite imprimées sur le subjectile. De ce fait, c’est à l’aveugle qu’elles sont procréées. Aussi ne surviennent-elles sur le pré du visible qu’au croisement de l’imprévisible et de la répétition : en une série d’approximations toujours plus ou moins fortuites.
Paradoxe : chaque pyramide surgit en conséquence de la nuit –du fond de cette nuit qui gît (ou gîte) sous la semelle d’un fer à repasser--, d’une part, tour à tour, d'autre part comme si c’était, à chaque nouvelle impression du fer, une fois pour toutes. Mais cette manifestation ne s’impose qu’autant qu’il est de lettres au mot montagnes, soit neuf fois pour une et pas une de plus. Ainsi la production de l’image demeure-t-elle toujours clandestinement réglée par du langage, comme il est d'usage dans un Cycle qui recommande d’alterner en permanence, lors de la contemplation de chacune des œuvres qui le compose, les lettres de LOVE avec celles de VELO.
Entre re-prise et mi-prise, méprise et surprise, telles prolifèrent les pyramides de ce Fragment des collections de Montagnes du Facteur Cheval : avec la rature comme devise. Une rature accomplie par un fer qui repasse mais jamais complètement n’efface sur sa semelle l’empreinte laissée par la production de la pyramide précédente.
M comme Montagne (ou Mallarmé).
Dans Fragment des collections de Montagnes du Facteur Cheval, neuf pyramides colorées créent l'image d’une chaîne de montagnes. Elles produisent cette image ; elles ne la reproduisent pas.
En ce tableau, l’auteur du Cycle de Cheval à Vélo tente probablement de se mettre à l'enseigne de Paul Klee ; de s’en remettre à l’enseignement de ce dernier. Comme chez Klee, le sens, en l’occurrence une représentation de montagnes, le sens n'apparaît qu’au terme d’un travail signifiant : il ne lui préexiste guère.
Autrement dit, parce qu’il ne survient qu’après coup, le sens n’est plus réglé ici par l’univocité du logos. Devenu perméable aux associations d’images et d'idées, il s'ouvre désormais en étoile.
M comme Montagne.
Fragment des collections de Montagnes du Facteur Cheval
(Acrylique, pastel à la cire, encre de Chine et gaze sur bande plâtrée collée sur carton gris. 50 x 65 cm. 2005.)
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